Histoire du couvent Saint-Jacques

Le couvent médiéval et moderne

Lorsque, le 15 août 1217, saint Dominique disperse le petit groupe de ses premiers frères rassemblés auprès de l’église Saint-Romain de Toulouse, sept d’entre eux sont envoyés à Paris « pour étudier, prêcher, constituer une communauté ». Les premiers arrivés, dès le 12 septembre, trouvent à se loger, par location, dans une pauvre maison proche de l’hôpital de Notre-Dame. Cette installation provisoire dure à peine un an ; le 6 août 1218 en effet, les frères prêcheurs prennent possession d’un hospice jusqu’alors destiné aux pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, et d’une petite chapelle. Un maître de Paris, Jean de Barastre, leur a fait don de ces bâtiments, situés à l’extrémité de la grande rue Saint-Benoît (appelée depuis rue Saint-Jacques), près de ce qui était alors la porte d’Orléans. Les débuts sont difficiles mais, après la visite de Dominique (juin 1219) qui, dès le mois d’août suivant, envoie de Bologne à Paris la plus brillante de ses recrues, un maître de Paris nommé Réginald, le couvent de Saint-Jacques connaît un essor qui en fera bientôt la maison la plus célèbre de tout l’Ordre grâce à la postérité des enseignements d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin et la présence de plusieurs centaines d’étudiants et le chahut qui pouvait, parfois, accompagner leur présence.

En un temps où les religieux sont plus connus par leur surnom populaire que par leur dénomination officielle, les habitants de Saint-Jacques sont vite appelés « Jacobins » et, dès le XIIIe siècle, la désignation s’étend à tous les établissements de l’Ordre en France.

Au cours des siècles, les constructions de Saint-Jacques ne cesseront de s’accroître, à l’intérieur d’un quadrilatère limité par l’actuelle rue Saint-Jacques, face à la Faculté de droit ; la rue Cujas et le passage Coupe-gueule ; le boulevard Saint-Michel ; la rue Soufflot. À l’intérieur de l’église Saint-Étienne-du-Mont près de l’entrée, une plaque de marbre reproduit un plan général de l’ancien couvent, superposé au tracé des rues actuelles.

C’est le 1er septembre 1790 que les frères de Saint-Jacques, désireux de persévérer dans leur engagement religieux, durent aller se joindre aux frères du Noviciat Général (actuelle église Saint-Thomas d’Aquin dans le VIIe arrondissement).

À partir du 6 octobre 1793, solennité du Rosaire, il n’y a plus de communauté dominicaine de frères dans Paris. La veille, en effet, les religieux du Noviciat Général, ont été dispersés par les pouvoirs publics.

La transformation du quartier au XIXe siècle a amené la destruction complète des bâtiments de l’illustre couvent ; quelques photographies subsistent des derniers vestiges.

 

La restauration lacordairienne et les multiples déménagements

Après avoir établi des frères à Nancy (1843), puis à Chalais (1844) et Flavigny (1848), c’est en 1849 que le père Lacordaire (lui-même profès depuis le 12 avril 1840, à Rome) peut inaugurer une fondation à Paris. Placé sous le patronage de saint Thomas d’Aquin, un quatrième couvent français est officiellement érigé le 15 octobre 1849 rue de Vaugirard, dans les anciens bâtiments du couvent des Carmes, tristement célèbre depuis les massacres de septembre 1792 (aujourd’hui Institut Catholique). L’archevêque de Paris, Mgr Sibour, a offert à Lacordaire l’utilisation de l’immeuble et le service de l’église, moyennant un bail qui sera renouvelé une fois.

À l’expiration de ce bail, après avoir hésité entre plusieurs quartiers, les frères prêcheurs parisiens s’installent en avril 1867 dans l’ancien « Collège de Lisieux », rue Jean-de-Beauvais (aujourd’hui église roumaine), derrière le Collège de France. Reprenant pied ainsi dans le quartier latin, ils abandonnent le patronage de saint Thomas d’Aquin pour reprendre celui de saint Jacques, en symbole de continuité avec le passé.

Si les frères ont vécu 17 ans rue de Vaugirard, ils ne seront même pas 14 ans rue Jean-de-Beauvais ! En novembre 1880, comme tous les religieux de France, les Dominicains sont victimes des mesures d’expulsion décidées par le gouvernement de la République. Dispersés le 5 novembre 1880, les frères parisiens se répartissent en quatre groupes dans des logements improvisés, principalement au 19 de la rue du Cherche-Midi. Après quelques années, les communautés officiellement dissoutes se reconstituent discrètement soit en réintégrant leur ancienne habitation (car l’État n’avait pas saisi les biens), soit en choisissant de s’implanter ailleurs. Cette dernière solution est celle de Saint-Jacques, le couvent de la rue Jean-de-Beauvais ayant été vendu entre temps. Le 1er octobre 1886, Saint-Jacques reprend vie au 94 rue du Bac. Cette fois encore, le séjour ne dépasse pas 15 ans. Acquisition a été faite d’un immeuble plus spacieux, aux 5-7 de la rue de la Chaise (au carrefour Sèvres-Babylone), où les frères s’installent en 1901. Mais peut-on parler « d’installation » ? En mai 1903 en effet les religieux sont une fois encore expulsés, et l’immeuble provisoirement confisqué (« provisoirement », car la société civile propriétaire finira par gagner son procès contre l’État et continuera la gestion jusqu’en 1921 au moins).

Pendant de longues années, les religieux de Saint-Jacques vont donc vivre dispersés, habitant seuls ou chez des amis. Dispersion ne veut pas dire pour autant dissolution de la communauté conventuelle : les religieux demeurent en contact personnellement avec leur prieur, autour duquel ils essaient de se réunir assez régulièrement et qu’ils continuent d’élire ou réélire canoniquement tous les trois ans.

Avec un retard notable sur les autres couvents de la Province, assez rapidement reconstitués en effet au lendemain de la première guerre mondiale, le regroupement de Saint-Jacques s’opère en 1930 au 30 de la rue Vanneau, près du Bon Marché. La nouvelle étape ne dépasse pas 8 ans. En 1938, Saint-Jacques est transféré au 35 rue de la Glacière. Le jardin du couvent, ancienne clinique du Dr de Martel, donne sur une chapelle de quartier, désormais desservie par quelques frères : Notre-Dame des Anges dont l’accès public se trouve dans une rue parallèle de la rue de la Glacière ; la rue des Tanneries.

Jamais depuis Lacordaire, le couvent de la rive gauche n’aura connu une si longue stabilité dans le même lieu ! Trente ans s’écoulent en effet avant que la communauté ne se transporte, le 1er juin 1969, dans un nouvel ensemble immobilier construit sur l’emplacement de Notre-Dame des Anges et de quelques maisons voisines.

 

Le Nouveau Saint-Jacques : depuis 1968

Le couvent Saint-Jacques qui était depuis les années ’30 un couvent de ministère, parfois assez engagé : résistance pendant la guerre, accueil du Père Chenu après sa condamnation de 1942, Journées sacerdotales pour les prêtres parisiens, liens avec des équipes de prêtres ouvriers devient, avec le transfert du Saulchoir, de ses régents et de ses lecteurs, un couvent d’« intellectuels ». Le changement de configuration est alors quasi-total : les frères enseignent (Catho, Centre Sèvres, Université) sans pour autant le faire ad intra : le studium de la Province est installé à Lille depuis le début des années ’80.

La construction du « complexe » (couvent Saint-Jacques + Saulchoir qui regroupe dans un premier temps la Bibliothèque provinciale, Istina et le couvent Maydieu) est confiée à l’architecte Joseph Belmont.

La Bibliothèque du Saulchoir, davantage tournée vers le public que vers les frères, devient le centre, au sens physique du terme, de différentes institutions qui se développent : Istina, sa revue, sa bibliothèque dès le début du « troisième » Saulchoir en 1968 ; « Le Jour du Seigneur » remplace le couvent Maydieu dans ses locaux en 1993 ;  la Commission Léonine arrive de Grotaferrata en 2002 et les Editions du Cerf s’installent Rue des Tanneries en 2013 suivies de peu par la Maison Provinciale en 2014. La totalité des bibliothèques du secteur pointe à un demi-million d’ouvrages spécialisés, autant que les bibliothèques de la Catho de Paris.

Mais deux chapitres généraux successifs (2015 et 2019) décident de limiter à 25 le nombre de Jacobins créant ainsi une nouvelle physionomie conventuelle avec notamment de nouvelles salles de réunion et un foyer d’étudiants qui occupe désormais le deuxième étage du couvent.

André Duval et quelques autres…

 

 

Quelques références récentes :

Jean-Christophe de Nadaï, Brève histoire des Dominicains à Paris in Huit siècles de présence dominicaine à Paris, Héritage architectural, 2018

Charles Desjobert, « Le Paris Dominicain au XIXe siècle. Le nouveau Saint-Jacques, rue Jean-de-Beauvais », Mémoire Dominicaine ; 34, 2018

Michel Beaudet, Le couvent Saint-Jacques au 35 rue de la Glacière, Paris 13, [2012]. Nombreuses photographies.

 

Ou plus anciennes :

Marie-Dominique Chenu, Le couvent Saint-Jacques et les deux renaissances du XIIIe et du XVIe siècles, Cahiers Saint-Jacques, Paris, [1963]      

Marie-Dominique Chenu, L’Humanisme et la réforme au collège Saint-Jacques, Archives d’histoire dominicaine – 1, 1946

 

Sur les couvents parisiens en général :

Jacques Tyrol, Les Dominicains de Paris au XVIIe siècle, 1997

Sophie Hasquenoph, Les Dominicains à Paris au XVIIIe siècle, 1995